Après le succès de sa série
Lawman, Steven Seagal se sent bien dans la peau du vaillant flic, ce qui nous change de ses personnages de mercenaire, ex marine et autre ex agent secret de la CIA dont ses DTV nous ont habitué. Mais son show télévisé ne l’a pas rendu plus crédible en policier. Avec l’argent de Voltage Pictures (un gage de qualité dans les DTV) et devant la caméra de Lauro Chartrand, cascadeur de longue date (et notamment chorégraphe et réalisateur de seconde équipe sur le moyen
Dangerous Man) qui réalise là son premier long métrage, Steven est producteur et scénariste (comme sur
Killing Point,
Vol d'enfer,
Attack Force ou
L'Affaire CIA) : il peut donc se faire plaisir, abordant brièvement la connexion troublante entre les mafias et le terrorisme (un thème qui lui tient particulièrement à cœur, lui qui a un temps côtoyé des mafieux) et s’écrire un personnage à la hauteur de ses ambitions et digne de ses valeurs, c’est-à-dire un héros bourrin dénué de psychologie mais plein de loyauté. Steven joue ici un agent d’Interpol, un pur et dur, envoyé en Europe de l’Est pour suivre la piste de dangereux trafiquants de drogue et d’armes. Difficile de résumer un pitch plus banal que ça. D’ordinaire, les personnages de Steven ont un passif, une back-story, des motivations (patriotisme, vengeance, écologie…). Ici, nada. Steven est juste un flic qui fait son boulot. Un flic pas très sympa, d’ailleurs.
En effet, notre Seagal, toujours aussi gros et toujours les mains dans les poches l’air exaspéré comme s’il attendait qu’il se passe quelque chose (Steven est un homme qui attend que la violence arrive à lui), incarne un flic des plus antipathiques, autoritaire jusqu’à la tyrannie (faut voir comment il parle à ses hommes). En fait, et en bref, Steven joue un gros enculé. Comme toujours, me direz-vous. Le gros panda tente d’humaniser scénaristiquement son personnage en lui collant une fiancée qui en a marre que Steven accorde plus d’importance à son job qu’à elle. Ce qui nous vaut des scènes conjugales fascinantes puisque le romantisme amorcé est toujours annihilé dans la foulée ; ce qui s’annonçait comme un diner aux chandelles dans un restaurant entre la Belle et la Bête embraye sur une baston de bar violente lorsque des vilains sortis de nulle part viennent provoquer un Steven en mode cool qui était en train de plaisanter avec sa dulcinée (cette interruption coutera plusieurs os aux fauteurs de troubles), et ce qui ressemblait à une confession dramatique de Steven à sa meuf vire soudainement au film érotique ringard du bon vieux temps des dimanches soirs sur M6, avec un Steven qui fait l’amour tout habillé (d’une parka noire) à sa nana complètement à poils qu’il tripote longuement au cours d’un montage clipesque incompréhensible à mourir de rire, digne du flashback érotique de
Dangerous Man. Eternellement monolithique, Steven refuse catégoriquement la psychologie, esquissant un personnage froid et insensible dont la seule réaction au «
Je vais être papa » de son coéquipier est : «
Ca craint ». Et quand ce coéquipier est tué, Steven se contente, au chevet de la victime, d’un sommaire «
Il va me le payer », qui permet à l’acteur d’éviter pleurs, émotions et expressions faciales et d’annoncer que ça va charcler dans les minutes qui suivent. Il éprouve cependant admiration et respect envers un gangster russe (Dan Badarau, un sous-Marlon Brando habitué des DTV d’action puisqu’on l’a vu dans
7 seconds,
The Detonator et
Nuclear Target avec Wesley Snipes, et
Black Dawn déjà avec Steven Seagal) qui veut venger l’assassinat de son épouse, et il sait être cool avec un indic généreux. Car notre panda a beau massacrer les méchants avec le sadisme qu’on lui connait, ça reste un homme droit et juste qui tient toujours ses engagements, et surtout un héros invincible et intouchable. Steven fait d’ailleurs dire aux collègues désignant son personnage : «
Ce type est increvable ! » et «
Tu te crois dans un film américain ? ».
Rendez-vous en enfer (alias
Born to raise hell, comme la chanson de Motorhead) confirme une fois que Steven Seagal , bien aidé dans sa croisade sado par un budget confortable de 10 millions de dollars, ne semble épanouis que lorsqu’il se complait dans l’ultra-violence ; cette fascination, sorte de pornographie du film d’action, est d’ailleurs fascinante et mériterait une analyse approfondie. Les premières minutes du film présentent un condensé de violence et de vulgarité : argent, drogue, putes à poils, tueries et viol, tout est là. Aux commandes des dialogues, Steven Seagal s’écrit de nombreuses punch-lines et des dialogues verbalement aussi agressifs que ses coups, et c’est d’ailleurs pour ça qu’il parle étonnement beaucoup et face caméra, en tous cas bien plus que dans ses précédents DTV. Encore une fois, pour notre plus grand plaisir, Steven casse des os et flingue sans sommations dans des scènes d’action brutales, jusqu’au traditionnel combat final qui s’attarde longuement, comme une lente agonie, dans l’humiliation sadique du bad guy par un Steven amusé («
Voyons un peu ce que tu vaut mon gars ») qui ne se fait pas toucher une seule fois. Son attitude je m'en foutiste fait d'ailleurs souvent sourire.
Extrêmement racoleur,
Rendez-vous en enfer est probablement l’un des films seagaliens les plus riches en biatches à poils : de la nudité gratuite toutes les 5 minutes et des putes roumaines partout, que ce soit les deux pétasses fashion du bad guy, la blonde fatale du russe ou la fiancée de Steven. Autant dire qu’il y a de quoi mater, surtout quand le réalisateur insiste comme un pervers sur les anatomies généreuses de ces dames (plusieurs "plans cul" très drôle). Ce qui signifie aussi que ces charmantes créatures, toutes des prototypes des filles de l’Est, ne seront pas épargnées au cours de l’aventure ; l’une d’entre elles est violée puis abattue comme un animal après avoir vu son mari se faire tuer, une autre sera torturée (avec des arrachages d’oreilles) dans un montage tapageur à la
Saw, puis encore une autre est exécutée devant son fils, et toutes les autres seront flinguées. La misogynie seagalienne atteint ici des sommets, même si elle est « nuancée » par l’alliance fantasmatique
nanas + flingues. Steven ressemblant de plus en plus à une statue de cire fondue sur laquelle on aurait collé un masque en plastique dénué d’expressions, on peut se demander encore une fois ce que les femmes peuvent bien lui trouver. Heureusement, ce n’est que de la fiction (dans la réalité, on le sait, Steven doit un peu plus insister auprès de la gente féminine pour conclure).
Si le monteur, sans atteindre le niveau hystérique d’un
Killing Point, semble avoir travaillé en fumant des substances illicites, abusant d’effets stylistiques clippés cheaps et ringards (un gunfight en arrêts sur image), le film offre des scènes d’action efficaces et barbares, que ce soit des fusillades bruyantes et expéditives aux ralentis stylés (mention à l’assaut dans l’appartement des drogués, ou au final avec Steven armé d'un fusil à pompe) ou les bastons foudroyantes, douloureuses et brutales (l’assaut au début, la bagarre près du fourgon, le restaurant, le combat final…) incluant un Steven Seagal en grande forme puisqu’il castagne les vilains à l’ancienne, à mains nues et sans doublure, ce que nous prouvent des plans larges ou rapprochés qui durent et permettent de discerner très clairement les parades, prises, coups et défenses de notre héros radical, encore assez vif. Les combats sont ainsi consciencieusement cadrés, ce qui fait plaisir à voir. On aura pas vu Steven se battre aussi généreusement et honnêtement depuis
Le Prix du Sang. Et quand il ne se bat pas, Steven explose du méchant au shotgun, ce qui est tout aussi jouissif et galvanisant. Dommage que, dans sa dernière partie, le réalisateur zappe un peu Steven pour s’attarder sur les méchants qui s’entretuent, Steven réfléchissant dans son coin et n’intervenant finalement que pour achever le grand bad guy (l’anglais Darren Shahlavi, Kano dans la nouvelle série
Mortal Kombat, Sabre Man dans le
Chaperon Rouge de Catherine Hardwicke, Twister dans
Yip Man 2, vu aussi dans
Watchmen,
Alien Invasion avec Mark Dacascos,
Horribilis, 300, Final Cut avec Robin Williams,
Espion et demi,
Les Anges gardiens et dans plusieurs Uwe Boll). Mais le tandem improbable formé par l'agent d'Interpol Steven et le mafieux russe Dimitri (qui s’avère être un personnage bien classe) est aussi bref que plaisant, et l’idée de la double vengeance contre un même ennemi est fun bien qu’ici inexploitée.
Si le réalisateur fait parfois dans le pur clip vidéo (cf. les plans tape-à-l’œil et racoleurs dans la boite de nuit) et se révèle efficace dans les scènes d’action,
Rendez-vous en enfer reste un DTV tourné en Roumanie (pays ici peu glorifié, cf. le dialogue final entre Steven et son nouveau pote mafieux avec lequel il joue aux échecs) : format laid, photo fade, plans d’inserts miteux…Mais c'est assez bien mené, et le plus important : Steven y est en forme.
6 / 10